Traverser la tempête : le défi des femmes journalistes d’investigation

Par Temitope Bademosi

Il est difficile pour les femmes journalistes de travailler dans un milieu dominé par les hommes et c’est davantage difficile pour celles qui essaient de dévoiler les maux et les problèmes sociétaux que beaucoup aimeraient garder secrets.

Il est dangereux d’être une femme journaliste d’investigation ; cette profession engendre aussi une haine indicible et d’autres facteurs externes qui dissuadent souvent les femmes journalistes de continuer leur travail sur le terrain. C’est le constat qui a été fait lors de la troisième journée de la 16ème édition de la Conférence africaine sur le journalisme d’investigation (AIJC2020), qui a rassemblé des centaines de journalistes de par le monde. La conférence s’est déroulée en ligne à cause de la pandémie de COVID-19.

L’équilibre hommes-femmes dans les salles de rédaction, le harcèlement sexuel, les salaires inégaux et les stéréotypes sur la faiblesse des femmes sont certains des obstacles auxquels de nombreuses femmes journalistes font face en Afrique aujourd’hui. C’est ce qu’ont appris les participants à la séance intitulée « Les défis des femmes journalistes d’investigation ». Malgré cette situation, de plus en plus de femmes se lancent dans une carrière de journalistes d’investigation bien qu’elles aient du mal à se faire entendre.

Paula Fray, PDG de Frayintermedia a animé ce panel composé de certaines des plus grandes journalistes d’investigation du continent. Au cours de cette séance, les panélistes ont essayé de trouver des solutions aux défis que les femmes ont à relever dans ce domaine.

Douce Namwezi, fondatrice d’Uwezo Afrika Initiative, a parlé aux participants de ses expériences extrêmement pénibles en tant que journaliste d’investigation en RDC. Elle a également donné des conseils aux autres femmes reporters pour se frayer un chemin dans ce milieu apparemment « difficile ».

« Lorsque vous êtes une femme journaliste qui essaie de creuser pour avoir des  informations, on vous intimide. Parfois, on vous propose même des pots-de-vin afin que vous ne parliez pas de votre enquête. La deuxième réalité que j’aimerais mentionner au sujet de la sécurité des femmes journalistes, c’est le risque qu’elles courent de se faire violer ou tuer quand on essaie de les réduire au silence », a déclaré Namwezi.

Elle a également parlé des stratégies que les femmes peuvent utiliser ainsi que des moyens réalistes pour faire face à ces défis en encourageant les femmes journalistes à s’informer et à continuer de sensibiliser le public.

Arnaud Ouédraogo, coordonnateur de l’Organisation de la société civile ou non-gouvernementale était le seul homme de ce panel. Il a indiqué que la préférence pour les hommes dans le domaine du journalisme d’investigation avait des racines profondes.

« L’origine de l’exclusion des femmes dans le milieu journalistique ne concerne pas uniquement leurs compétences et est liée à des éléments culturels qui empêchent les femmes de jouer ces rôles. Parfois, les femmes journalistes sont elles-mêmes responsables de cette situation car il leur arrive de ne pas avoir suffisamment confiance en elles-mêmes pour faire valoir leurs droits », a-t-il déclaré.

Il a plaidé en faveur d’une formation spécifique et en faveur de la réduction de l’écart entre les hommes et les femmes dans les entreprises de presse où les femmes exercent peu ou pas de fonctions importantes ou la fonction de journalistes d’investigation. Il a ensuite affirmé qu’un débat public était nécessaire et a demandé que ces problèmes soient toujours au centre des préoccupations afin de réduire cet écart.

Pour la première fois pendant la conférence, les panélistes ont été invitées à parler des difficultés qu’elles rencontrent en tant que journalistes d’investigation. La journaliste d’investigation ougandaise Barbara Among a dit qu’il était devenu dangereux d’enquêter sur les entreprises en Ouganda. Elle a révélé que sa vie et celle des membres de sa famille avaient été menacées par des entreprises puissantes qui n’ont pas hésité à payer des collègues journalistes pour l’espionner. Les femmes journalistes doivent faire leur travail mais aussi protéger la vie des personnes qui leur sont chères et dont les vies sont menacées à cause du travail d’investigation des femmes reporters de leurs familles, a ajouté Among.

Kathy Magrobi, directrice de la société Quote this Woman+ qui aide les journalistes à trouver des récits de femmes pour leurs histoires et qui veille à ce qu’aucune voix ne soit exclue, a regretté que les récits des femmes soient limités à tous les niveaux dans les reportages des journalistes. Elle a présenté son travail de recherche aux participants, lequel montre que la participation des femmes demeure très faible en comparaison avec celle des hommes.

La base de données de Quote this woman+ compte plus de 350 sources crédibles qui sont des expertes ou des femmes leaders d’opinion issues des groupes négligés ; elle compte aussi plus de 40 catégories et sujets et est actuellement accessible aux journalistes gratuitement. Magrobi a encouragé les journalistes à faire usage de cette base de données en s’inscrivant tout simplement sur www.quotethiswoman.com.

À la fin de la discussion qui a légèrement dépassé la durée normale de 60 minutes, les panélistes ont promis de se soutenir mutuellement et de veiller à ce que les femmes journalistes d’investigation et des femmes en général se fassent entendre sans réserve.

À propos de l’auteur

Temitope Bademosi est une journaliste nigériane. Sa passion, c’est de mettre à nu les maux des communautés locales qui demeurent sous-représentées et sur lesquelles on enquête peu et de demander aux autorités de rendre des comptes. Bademosi est une boursière de l’AIJC2020.

Article traduit de l’anglais par Édith F. Koumtoudji.